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Les pièges de la digitalisation des IMF : négliger l'environnement réglementaire

Marché de bétail au Nigeria.

Les institutions de microfinance (IMF) engagées dans un processus de digitalisation découvrent souvent que la réglementation impose un ensemble de contraintes imprévues dans sa mise en œuvre, en particulier lorsqu’une composante importante d'un canal ou d'un produit numérique n’est pas autorisée.

Une partie du problème est liée à l'incertitude réglementaire. La microfinance, du fait qu'elle n'est pas réglementée de la même manière que les intermédiaires bancaires traditionnels ou qu'elle est soumise à des règles différentes, est plus sensible à l’ambiguïté sur les autorisations. Cette sensibilité accroît les risques perçus, crée une résistance organisationnelle et étouffe l'innovation.

Le problème peut également être lié au fait que les réglementations ne suivent pas le rythme de l'innovation. Par exemple, la digitalisation implique de s'écarter des méthodes traditionnelles de relation avec les clients dans des lieux fixes, comme les agences, et par le biais d'une interaction personnelle, méthodes sur lesquelles la réglementation existante peut encore reposer. Elle implique également des changements dans les opérations de back-end, comme l'utilisation croissante des services cloud et des API, qui se heurtent souvent à des restrictions réglementaires.

Des questions de protection des consommateurs sont également en jeu. La digitalisation a des implications sur la manière dont les IMF interagissent avec leurs clients et sur la manière dont elles gèrent leurs opérations, deux domaines soumis à des dispositions réglementaires telles que les règles de vigilance à l'égard de la clientèle (Costumer Due Diligence, ouCDD) et la gestion du risque opérationnel.

Quelle que soit la portée ou l'échelle, la digitalisation doit tenir compte de l'environnement réglementaire dans lequel l'IMF opère. Si les IMF doivent conduire leur transformation digitale dans le cadre réglementaire existant, certaines d’entre elles peuvent aussi souhaiter jouer un rôle actif dans l'élaboration de la réglementation.

L’un des écueils de la digitalisation est d’ignorer les limites existantes ou de chercher à les repousser sans avoir bien appréhendé les réglementations qui restreignent l'étendue des possibilités. Dans certains cas, le piège peut consister à interpréter les réglementations de manière trop conservatrice, alors même qu’elles permettent aux IMF d’aller plus loin dans la transformation digitale.

Voici trois aspects réglementaires de la digitalisation que les IMF doivent prendre en compte pour se donner les meilleures chances de succès et atteindre davantage de clients à faibles revenus.

1. Recrutement de nouveaux clients à distance

Pour gagner en efficacité et atteindre une certaine envergure, les IMF doivent digitaliser leurs processus de recrutement de la clientèle – c’est-à-dire remplacer les processus de vérification d'identité, d'ouverture de compte, de tenue de compte et de recouvrement qui se faisaient en personne dans les agences physiques par des procédés numériques à distance. Mais ce changement introduit une complexité réglementaire.

Pour des raisons de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT), la plupart des juridictions ont des règles spécifiques pour les procédures de vigilance à l’égard de la clientèle (CDD) opérées à distance. Les IMF doivent avoir une parfaite connaissance de la position de leur juridiction. Par exemple, certains pays peuvent autoriser l'ouverture à distance de comptes dont les opérations sont strictement plafonnées, tout en exigeant des clients qui prévoient d'effectuer des transactions d'un montant plus élevé qu'ils ouvrent leur compte dans une agence ou auprès d’un agent. L’existence d'un identifiant numérique et son utilisation potentielle dans le cadre du recrutement de clients à distance jouent un rôle crucial à cet égard.

Un autre élément important du recrutement à distance est la capacité à recourir pleinement aux signatures numériques et au partage de fichiers électroniques. Certaines juridictions exigent encore des copies papier des documents d’adhésion signés au lieu, ou en plus, des versions électroniques. Dans ce cas, les IMF doivent prévoir dans leurs stratégies de prospection de nouveaux clients l'obligation de présenter es documents physiques à signer et déterminer comment les comptes peuvent être ouverts à distance.

2. Réseaux d’agents

L'année dernière, le CGAP a publié une étude présentant plusieurs cas d'IMF ayant réussi à digitaliser divers aspects de leurs activités. Les cinq IMF que nous avons étudiées ont toutes recours à des réseaux d'agents pour fournir leurs services. Ce n'est pas un hasard. La plupart des habitants des marchés émergents sont payés en espèces et ont souvent besoin d'effectuer des transactions en espèces. Même si elles ont fortement digitalisé les interactions avec leur clientèle, les IMF ont toujours besoin de points de contact physiques pour permettre à leurs clients de déposer et de retirer de l'argent lorsqu’ils en ont besoin. Les agents se sont avérés viables là où les agences plus coûteuses ne l’étaient pas et ont permis aux IMF de gagner en efficacité et en échelle.

Cependant, toutes les réglementations à travers le monde n'autorisent pas systématiquement le recours à des agents. En tant qu'IMF, l'une des premières questions à se poser lorsqu'on envisage de proposer des services numériques est la suivante : les IMF sont-elles autorisées à recourir à des agents sur mon marché ? Si la réponse est oui, d'autres questions subsistent : que peuvent faire et ne pas faire les agents ? Par exemple, sont-ils habilités à recruter de nouveaux clients ? Quelles sont les règles concernant l'exclusivité des agents ? Par exemple, les IMF doivent-elles utiliser des agents exclusifs ou les agents peuvent-ils être partagés ? Qui peut devenir agent ? La réglementation autorise-t-elle différents niveaux d'agents, notamment le recours à des gestionnaires de réseaux d'agents pour former et gérer les réseaux d'agents ?

3. Cloud computing et API ouvertes

Les IMF qui cherchent à exploiter au maximum les technologies à leur disposition se tourneront immanquablement vers le cloud computing. Avec le cloud computing, les IMF ont la possibilité de se procurer une infrastructure cloud sur une base privée, communautaire ou publique en fonction de leurs ressources, de leur appétence au risque, de leurs aspirations et du contexte réglementaire. Le cloud computing peut fournir aux IMF des options moins coûteuses et moins exigeantes pour accroître leur portée et adapter les produits aux besoins des clients.

La sécurité, la confidentialité et la conformité des données sont les principaux risques associés au cloud computing qui préoccupent les régulateurs. Si l'utilisation de services basés sur le cloud fait partie de la stratégie de digitalisation de votre IMF, veillez à bien comprendre la position du régulateur sur la localisation des données. Certains régulateurs exigent des fournisseurs financiers et de leurs partenaires tiers qu'ils stockent toutes les données opérationnelles, en particulier les données clients, dans le pays d'opération pour des raisons de sécurité et de confidentialité des données. Que ces préoccupations soient fondées ou non n'est pas la question. Les IMF doivent anticiper et respecter les règles.

Une IMF qui cherche des API ouvertes pour développer son réseau d'agents, élargir sa clientèle, augmenter ses taux d'activité ou générer de nouvelles sources de revenus doit vérifier que les règles relatives à la sécurité et à la confidentialité des données dans sa juridiction l'autorisent à le faire. Elle doit également bien comprendre les conditions applicables et le degré requis d'agrégation des données et de consentement du client. Certaines de ces règles peuvent être fixées par des autorités autres que le régulateur financier (par exemple, par une autorité de protection des données ou l'autorité en charge de la cybersécurité).

Les questions réglementaires liées à la digitalisation peuvent sembler décourageantes et difficiles à maîtriser. Mais en s’informant sur les lois et réglementations applicables et en se rapprochant des autorités suffisamment tôt, les IMF peuvent éviter des erreurs coûteuses.

L'importance du dialogue avec les autorités réglementaires

Les questions réglementaires liées à la digitalisation peuvent sembler décourageantes et difficiles à maîtriser. Mais en s’informant sur les lois et réglementations applicables et en se rapprochant des autorités suffisamment tôt, les IMF peuvent éviter des erreurs coûteuses comme l'acquisition de technologies qui ne peuvent pas être pleinement exploitées ou la création de partenariats qui n'apportent pas de valeur à l'entreprise ou à ses clients en raison de limitations réglementaires.

Il arrive que les règles ne soient pas claires, qu'elles n'existent pas ou qu'elles soient complètement prohibitives. Dans ces cas-là, les IMF doivent utiliser les structures à leur disposition pour faire reculer les limites et faire entendre leur voix dans l'élaboration de l'environnement réglementaire. Les régulateurs sont de plus en plus ouverts au dialogue avec les fournisseurs, et les IMF doivent profiter de cette opportunité pour dialoguer avec eux.


Perdre de vue l'environnement réglementaire est un écueil courant dans la digitalisation des IMF, mais ce n'est pas le seul. Pour en savoir plus sur d'autres problèmes fréquents mais évitables, consultez les autres articles de notre série « Les pièges de la digitalisation des IMF : quels sont-ils et comment les éviter ? ». Voir également notre publication « Digitization in Microfinance : Case Studies of Pathways to Success », qui s’intéresse plus en détail au parcours de plusieurs IMF qui ont réussi leur digitalisation.

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