Interview FinDev

Crédit agricole au Maroc : "le méso-crédit, une innovation porteuse"

Quelles solutions financières innovantes le Crédit agricole du Maroc propose pour répondre aux besoins des agriculteurs marocains ?
Mustapha Ben El Ahmar, directeur de son centre d’études et de recherches (Cercam)

Mustapha Ben El Ahmar, directeur de son centre d’études et de recherches (Cercam), et Mariem Dkhil, directrice du financement du développement durable du GCAM.

Fermier des montagnes. Photo de Irvin Jethro Velas. Concours photos du CGAP 2016.

Comment répondre au mieux à la demande de crédit agricole au Maroc, un pays qui compte de grands exploitants, mais aussi de petits fermiers et des exploitations de taille moyenne non desservies par les banques classiques ? Le Groupe Crédit agricole du Maroc (GCAM), qui figure parmi les quatre premières banques du royaume, incite à réfléchir aux solutions de « méso-finance », comme l’expliquent Mustapha Ben El Ahmar, directeur de son centre d’études et de recherches (Cercam), et Mariem Dkhil, directrice du financement du développement durable du GCAM.

Comment expliquez-vous l’inadéquation entre l’offre et la demande de crédit agricole ?

Le financement de l’agriculture marocaine, structurellement complexe, doit s’adapter à un ensemble de contraintes telles que la diversité des besoins à servir (variété des cultures et des tailles d’exploitation), la fragmentation géographique des exploitations à travers le pays, la difficulté d’accès physique aux fermes, sans oublier les risques économiques et environnementaux (aléas climatiques, maladies, volatilité des prix, etc.). Ces contraintes sont d’autant plus lourdes que l’exploitation est petite et que l’agriculteur est souvent analphabète (comme 28 % de la population de plus de 10 ans au Maroc) ou à faible niveau d’instruction.

Cela étant, on ne peut pas parler d’inadéquation entre l’offre et la demande de crédit agricole au Maroc, dans la mesure où tous les efforts sont faits pour se rapprocher des besoins de la clientèle cible. Sur 1,5 million d’exploitations agricoles au Maroc, couvrant 10 millions d’hectares, 20 % répondent à des normes et des services bancaires classiques. 40 % sont de très petites exploitations qui tirent l’essentiel de leurs revenus d’activités para ou extra-agricoles (commerce ou artisanat) et pour lesquelles les instruments de la Fondation de microfinance Ardi, lancée en 2006 par le Groupe Crédit Agricole du Maroc, sont adaptés.

Les 40 % restants sont des exploitations de taille moyenne qui ne répondent ni à une approche bancaire classique par défaut de garanties réelles, ni à une approche de microfinance, compte tenu de leurs besoins. Pour ce segment, nous avons lancé fin 2010 une nouvelle filiale, Tamwil el Fellah (« Financement du petit agriculteur »). On parle là de « méso-crédit ».

Quels sont les prêts moyens que vous accordez et obtenez-vous de bons taux de remboursement ?

Pour le segment commercial du marché, il n’y a pas de plafond de crédit et les taux sont négociables.

Près de 70 % des PME agricoles au Maroc comptent moins de cinq hectares et se trouvent dans des zones à agriculture pluviale avec un risque climatique élevé. Elles bénéficient le plus souvent de crédits agricoles moyens inférieurs à 100 000 dirhams (9 300 euros), avec des taux d’intérêt de 5 % à 5,5 %. En cas d’absence de garanties réelles, elles sont servies par notre filiale Tamwil el Fellah, avec des taux de 8 % et 8,5 %.

Les micro-exploitations qui vivent en partie de l’agriculture mais surtout d’autres activités (artisanat, tourisme, commerce) sont financées par la Fondation Ardi de microfinance, avec des crédits agricoles moyens de 5 000 dirhams (465 euros), qui peuvent aller jusqu’à un plafond de 50 000 dirhams (4 650 euros).

Quelles sont les difficultés qui persistent sur le marché marocain ?

La principale difficulté est relative au foncier agricole dont 75 % relèvent certes de la propriété privée, mais qui reste faiblement immatriculé. En effet, la majorité des petites exploitations agricoles sont justifiées par des actes juridiques traditionnels qui n’ont aucune force de garantie, de par les règles de la Banque centrale. Par ailleurs, 25 % d’entre elles relèvent de statuts juridiques caducs. Par exemple les terres collectives et les terres guich – près de 2,2 millions d’hectares – appartiennent à une collectivité ethnique et sont gérées individuellement par droit de jouissance. Les terres habou – près de 100 000 hectares – sont propriété du ministère des Affaires islamiques et données en location au privé. Il est ainsi difficile de construire des projets d’investissement et de valorisation agricole.

La deuxième difficulté tient au niveau du système d’assurance agricole, qui a réalisé d’énormes avancées, mais ne couvre aujourd’hui que 1 million d’hectares, soit 10 % des surfaces cultivées.

La troisième difficulté est liée à la taille des petites exploitations agricoles et au faible niveau de regroupement en coopératives ou autres, ainsi qu’un faible rapprochement entre l’amont agricole et l’aval commercial et industriel. Sur ce point, il faut rendre hommage au Plan Maroc vert (PMV), qui a fait de ces deux composantes des axes majeurs d’intervention et de progrès.

La quatrième difficulté tient à l’âge avancé des chefs d’exploitation et leur niveau d’instruction, limitant ainsi les actions de formation technique, de renforcement de capacité de gestion, de transfert de nouvelles technologies. Cette donnée pose également la question de la relève.

Enfin, la contrainte environnementale et climatique est de plus en plus fortement ressentie. La majorité de l’agriculture marocaine est pluviale avec seulement 20 % de la surface agricole utilisable irriguée. Les changements climatiques étant déjà perceptibles, les agriculteurs vont devoir s’adapter rapidement. À cela s’ajoute la diminution du niveau des nappes phréatiques et leur pollution, l’érosion des sols et leur salinisation ou encore la perte de biodiversité.

 

La principale difficulté est relative au foncier agricole dont 75% relèvent certes de la propriété privée, mais qui reste faiblement immatriculé.

Comment réduire les risques liés à votre activité ?

La grande exploitation agricole dispose des garanties réelles nécessaires qui lui permettent d’accéder facilement au crédit bancaire et à d’autres sources de financement (bourses, marchés obligataires, fonds d’investissement).

Par contre, pour la TPE agricole et rurale, la complexité du foncier contraint à sécuriser les crédits par d’autres biais, tels que la proximité (visites régulières au client, suivi sur le terrain des activités financées), la qualité de l’offre et du service après-vente (adéquation des échéances à la capacité de remboursement et aux périodes, simplicité de la procédure, réactivité à la demande des clients et rapidité dans la mise en place des crédits). En outre, nous avons mis en place pour notre structure Tamwil el Fellah un fonds de garantie, avec une couverture partielle du risque par l’État, plafonné à un niveau d’encours par client.

Enfin, le système de scoring permet de modéliser et de noter la qualité du risque de chaque exploitation agricole à partir d’une analyse du client, du projet présenté pour le financement et de l’historique de la relation avec la banque. Le score final permet d’ajuster le niveau du crédit par rapport à la qualité du risque et d’éliminer les cas à risque élevé.

Quels pays vous paraissent exemplaires en matière de crédit agricole, en Afrique ou ailleurs ?

En toute modestie, nous pensons que notre modèle économique est réussi et rentable ! Contrairement aux autres anciennes Caisses nationales de crédit agricole en Afrique, nombreuses à avoir déposé leur bilan, le Groupe Crédit agricole du Maroc a évolué en adaptant continuellement sa stratégie, son organisation et sa gouvernance, en innovant dans la gestion du risque et en anticipant par rapport à la réalité de son environnement.

Notre modèle tire sa force de son intégration et de sa synergie dans le cadre de l’écosystème agricole et rural marocain global. Il s’avère transposable, en particulier en Afrique en raison de contraintes similaires (forte part de TPE agricoles, risque climatique, foncier agricole complexe, assurance agricole limitée), de la proximité socioculturelle (niveau d’instruction de la population, technologies adaptées) et des relations séculaires du Maroc avec le sud du Sahara.

Quelles sont les trois innovations les plus prometteuses en matière de microfinance, selon vous ?

Les dispositifs de méso-crédit sont une innovation importante, puisqu’ils permettent de combler l’offre manquante entre le microcrédit et le crédit bancaire classique.

Les systèmes de scoring ou de rating des exploitations agricoles changent également la donne : ils permettent d’assurer un suivi régulier et une connaissance fine du client, avec une meilleure gestion du risque agricole.

Enfin, la digitalisation participe à la bancarisation des populations agricoles et rurales, tout en contribuant à réduire le coût des prestations.

Cet article a été initiallement publié sur le site Ideas4Development en français et en anglais.

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